Depuis 2010, il y avait chaque année 10 000 étudiants de plus en France. En 2013, 30 000. Et en 2015, 65 000 étudiants supplémentaires se pressent aux portes des universités et autres grandes écoles. Thierry Mandon, le secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, y voit une tendance lourde.
La France compte 2 500 000 étudiants, dont 1,6 million pris en charge par l’université. La croissance est plus forte encore chez les étudiants en classes préparatoires, qui voient leur nombre augmenter de 3% par an. La question : est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Le niveau d’intelligence et de formation du pays augmente-t-il en conséquence ? Déjà, il faudrait pouvoir former, loger et financer tout ce petit monde. Car depuis l’année passée, 135 000 boursiers supplémentaires frappent aux portes de la trésorerie nationale.
On pourrait penser que cette vague de néo-universitaires est due à une vague monstre de bacheliers 2015, eh bien non : comme l’explique Le Monde, c’est au moment où l’université connaît de gros problèmes de budget que les bacheliers affluent à ses portes ! Mandon parle même de « choc démographique », et estime la hausse effectifs étudiants à quatre universités… qui n’ont pas été construites. Ce sont donc les universités en place qui, sous la pression du gouvernement, ont absorbé tout ce surplus. L’université d’Amiens compte ainsi 20% d’inscrits en plus, avec un regain pour les filières scientifiques, qui avaient été quelque peu abandonnées ces dernières années.
Thierry Mandon jongle avec les annonces du président et la réalité :
Il est vrai que c’est le président de la République en personne, qui a fixé à l’horizon 2025 un objectif de 60% d’une classe d’âge diplômée d’études supérieures. C’est très ambitieux, et surtout, ça ressemble aux 80% de bacheliers dans une classe d’âge sous le ministère Jack Lang. Cependant, on y est arrivé, en rabotant à mort sur la qualité du bac, et de l’enseignement. On a fait rentrer un gros chat dans une boîte trop petite pour lui, tant pis pour les bords. Aujourd’hui, moins de 45% d’une classe d’âge fait des études supérieures. En même temps, si c’est pour se retrouver au chômage trois ou quatre ans plus tard… On dirait que Hollande copie le modèle scandinave, qui arrive à donner à ses étudiants un niveau de formation inégalé. Oui mais voilà, les méthodes de l’école scandinave ne sont pas exactement les mêmes que celles qui sont appliquées en France. On est là-bas plus proches de la pédagogie Montessori que des délires de nos destructeurs de programmes de collège et de lycée. Mais c’est un autre débat.
La seule chose qui peut encore dissuader les jeunes issus de familles pauvres ou pas très riches de faire des études supérieures, ce sont les droits d’inscription. Ils augmentent, mais on n’en arrive pas à des niveaux nord-américains, fort heureusement. Un autre problème se pose en France : le choix des filières. Du fait de la hausse record des demandes, tout le monde ne peut pas faire les études de son choix. Le Monde rappelle que les filières les plus demandées, ce qu’on appelle « les premiers vœux », sont concentrées dans les quatre matières suivantes : droit, staps (sport), psycho, et santé. Mandon, interrogé au cours de sa conférence de presse de rentrée, botte en touche quand on lui parle de sélection, le mot tabou en France : " Elle existe déjà, c’est le bac. Pas besoin d’en rajouter. "
Là, on sent que la pression politique de gauche l’oblige à dire une ânerie, que relèvera certainement Brighelli, ce chef du cabinet noir de l’enseignement en France !
Mandon va encore plus loin : il voudrait éliminer le mur qui sépare les deux années de master, pour que les titulaires d’une licence aient accès plus facilement au master. Alors, où est la variable d’ajustement, qui empêcherait des foules d’étudiants de s’inscrire en psycho pour glander (on provoque, n’est-ce pas) ? C’est là où Mandon place son joker, l’orientation. Une meilleure orientation, selon lui, dès le départ, éviterait bien des déconvenues, des frustrations, et des diplômes dévalorisés… par le rapport diplômés/postes disponibles. On extrapole, mais ça revient à ça. En gros, Mandon propose aux étudiants un cursus plus facile, moins sélectif, mais un choix plus dur au départ. Pourquoi pas ? A ceci près que tout le monde ne sait pas forcément à 18 ans ce qu’il va faire plus tard, ou ce en quoi il pourra exceller deux ou trois ans plus tard. Pour finir, Mandon fait la manche, arguant que trois millions d’étudiants d’ici 10 ans feront éclater le système. Il faudra alors augmenter le budget de l’enseignement supérieur… Sauf si, et c’est implicite, le privé intervient et règle la facture. On le voit bien avec les « partenaires » des universités, qui commencent à miser sur la formation française. Il est à craindre, pour les tenants de l’éducation 100% nationale, que des fonds privés extra-européens viennent sauver le paquebot.
Le sourire pessimiste d’Olivier Laboux :
Si Mandon pratique une semi-langue de bois, ce n’est pas le cas d’Olivier Laboux, président de l’université de Nantes, interrogé par Le Figaro le 15 septembre. Il voit arriver le choc : 100 000 étudiants en plus pour les pays de la Loire d’ici 2025, et pas de construction d’universités en vue. Et révèle que les nouveaux étudiants privilégient l’enseignement privé sur l’enseignement public : en 10 ans, le premier a augmenté ses effectifs de 50%, contre 5% pour le second. Selon lui, le système de tirage au sort établi par les socialistes ne tient pas, une sélection serait préférable, moins hypocrite. L’urgence de la situation commande de dire la vérité, surtout à ceux à qui les responsables de l’éducation l’ont trop souvent cachée. Ça donne ça :
" Nous sommes là, victimes du dogme de l’absence de sélection à l’entrée des universités même si, paradoxalement, nous passons ensuite notre temps à sélectionner ceux qui y sont entrés. Il nous faut être plus prescriptifs et dire la vérité aux bacheliers. Après examen individuel de leurs dossiers, on devrait pouvoir leur dire qu’avec tels bac, notes, filière, ils ont telle chance de réussite. De fait, les bacheliers professionnels connaissent un fort taux d’échec. Pour autant, les universités françaises sont beaucoup plus frileuses que celles du nord de l’Europe où la moitié des effectifs sont des salariés qui reprennent des études. Le destin universitaire et professionnel n’est pas figé, comme chez nous, dès 18 ans."
La stratégie présidentielle des 60% d’une classe d’âge dans l’enseignement supérieure d’ici 10 ans est donc une annonce à la fois démagogique, et dangereuse. Le système universitaire français, à bout de souffle, sous-financé, pourra-t-il tenir ? Habilement, dans ses 40 propositions, Hollande parle d’un accroissement des étudiants étrangers. Une ouverture sympathique à l’international de nos universités, qui rattraperaient ainsi leur retard par rapport aux grandes écoles, qui pratiquent de puis toujours les échanges, à base de MBA. Sauf qu’on se doute bien que les étudiants scandinaves ou anglo-saxons ne se presseront pas dans nos facs décaties. On aura plutôt, comme sur la vidéo, un afflux d’étudiants issus des riches pays arabes, ou de Chine, pour qui le rapport qualité/prix français est excellent. La french touch ? Elle est surtout dans la très attractive pauvreté de l’université française ! On comprend mieux les voyages de Hollande dans les pays du Golfe… Dernier espoir présidentiel, que les entreprises apportent un peu plus d’un milliard dans le financement de l’enseignement supérieur. Des grandes entreprises françaises avec des capitaux qataris ?
La Sorbonne a besoin d’argent. Ça tombe bien, les Qataris en ont :
Sources : Le Monde du 16 septembre, Le Figaro du 15 septembre, Les Échos du 17 septembre